12 junio 2021

Réflexion sur le IIIème Ordre de Sagesse: Chevalier d'Orient

 



REMARQUE LIMINAIRE

 

M

on objectif en rédigeant ce balustre n’est certes pas d’y consigner tous les enseignements et connaissances de ce grade, ce qui relève du travail personnel de chacun et du travail collectif en chapitre. Et bon nombre de livres permettent à chacun de trouver réponse à ses questions et d’approfondir ainsi le contenu du grade.

Ne s’agissant pas de réécrire de nouveau ce qui existe, je souhaite bien plus ouvrir des pistes de réflexion en situant le cadre du grade et en mettant en exergue certains points symboliques qui nous échappent parfois.

Je tiens aussi à préciser que je respecte toutes les convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles de chacun qui ne regardent finalement que la conscience de chacun. Il reste que les Ordres de Sagesse de notre rite sont fortement empreints des traditions biblique et chrétienne, ce qui fit écrire à un de mes prédécesseurs que le rite moderne français était de forme chrétienne. Je reste profondément attaché à accorder l’importance d’un symbole au signifié et non au signifiant : si un enseignement bouddhiste ou musulman me plait, je peux l’accepter sans cependant me convertir à cette religion. Je pense qu’il faut savoir dépasser le cadre allégorique pour ne retenir que la substantifique moelle.

Ainsi, le conte des 3 petits cochons veut, en sa finalité, nous inciter à construire notre vie sur du solide même si c’est plus lent et demande plus d’efforts. Celui qui s’arrête à s’interroger si les 3 petits cochons ont réellement existé ou si des cochons peuvent bâtir une maison perd non seulement son temps mais le bénéfice de l’enseignement.

Qu’un enseignement soit qualifié de chrétien voire de christique n’exclut nullement qu’il ne puisse être suivi par un bouddhiste, un musulman voire un athée. De même, comme le soulignait notre TCF Fabrizio, la bible ou le GADLU font partie de notre tradition maçonnique française : on ne peut les soustraire mais il appartient à chacun le droit d’y réserver l’interprétation qu’il souhaite.

Je laisse donc à chacun de retenir de la tradition que j’expose ce qui lui convient ou de l’adapter à sa propre évolution et à ses convictions voire même de la refuser. Chacun reste libre et maître de son initiation.

De mon côté, je demanderai aux FF\ et au SS\ se sentant visés par certaines de mes incompréhensions personnelles que je pourrais exposer. Elles ne sont finalement nullement des critiques stériles mais des invitations à l’expression de positions différentes des miennes.

Alain DRUART

Vème Ordre – grade 9

Grand Conservateur du GCGMB

 

CADRE CONTEXTUEL

du IIIème ORDRE de SAGESSE

 

 

C

omme son nom l’indique, le IIIème Ordre de Sagesse ouvre la porte de la chevalerie maçonnique aux récipiendaires et je ne peux, à ce sujet, que vous conseiller la lecture du livre de notre TCF Pierre MOLLIER. [1]

Le « Chevalier d'Orient » fut ,jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, considéré comme le nec plus ultra de la tradition maçonnique française et grade ultime. [2]

Le grade de Chevalier d'Orient synthétise toute une série d'éléments empruntés aux différents grades « chevaleresques », qui, dans la hiérarchie actuelle du Rite Ecossais Ancien et Accepté, précèdent le 18e degré, celui de Rose Croix, et contient l'héritage des multiples grades chevaleresques qui ont fleuri au XVIIIème siècle.

Il est basé sur une légende d'Ordre. Résumons [3] :

Les « maçons libres », derniers défenseurs de Jérusalem lorsque la Ville Sainte fut prise par Nabuchodonosor furent déportés à Babylone pendant septante ans. Cyrus eut alors une vision qui lui commandait de « rendre la liberté aux captifs ». Zorobabel les ramène, mais rencontre « un obstacle » aux bords du « fleuve qui sépare l'Assyrie de la Judée », il fait construire un pont, mais les « peuples de l'au-delà » l'attaquent au passage, il les vainc, grâce à l'aide « des braves maçons qui le suivaient ». Sur le site du Temple, avaient subsisté en échappant à la captivité, « quelques Grands Elus » ; ils avaient trouvé l'entrée de la « voûte sacrée » et la « lame d'or sous la pierre cubique qu'ils détruisirent » et ils transmirent « leurs mystères par la seule tradition ». Ananias qui était à leur tête reconnaît Zorobabel comme chef et le Temple est reconstruit.

Après la destruction du Second Temple par « les Romains », « quelques-uns des Architectes restèrent presque sur les lieux » et en conservèrent les secrets. D'autres, d'abord retirés « au désert », les rejoignirent. Ils fondèrent un « hospice sur le lieu même où le Temple avait été détruit en faveur des pèlerins » et devinrent « un ordre religieux ». Apparut Pierre l'Ermite « fanatique obscur, mais entreprenant » qui « excita cette guerre si funeste connue sous le nom de Croisades ». A la nouvelle de son arrivée, « d'anciens militaires, retirés pour la plupart dans les déserts de la Thébaïde » rejoignirent les Architectes. Ils avaient tous pour but le rétablissement du Temple et « déguisèrent sous les simples apparences d'une architecture spéculative, un point de vue glorieux ». Ils rejoignirent les armées Croisées, se donnèrent des chefs militaires, fixèrent un « formulaire dont les symboles et les allégories pris de la construction du Temple les ramenaient toujours au véritable but ». Pour éviter toute surprise, « ils choisirent des mots, signes et attouchements pour se reconnaître », adoptèrent le titre de Maçons Libres et se joignirent aux Croisés « de qui ils seront accueillis et distingués ». Les Architectes qui avaient édifié l'hospice restèrent actifs, « prirent les armes et, sous un chef de bande érigé en Grand Maître », rejoignirent aussi les Croisés.

Après cette guerre, « ils s'agrandirent, puis furent anéantis ». Pendant ce temps, 81 d'entre eux passèrent en Suède et initièrent à leurs secrets l'archevêque d'Upsal. Plus tard, 81 autres chevaliers les rejoignirent, le prélat renferma leurs secrets dans un tombeau de marbre scellé de quatre sceaux.

Après la conquête de la Terre Sainte par les Egyptiens, les Architectes abandonnèrent leur pays et allèrent chercher ailleurs « de nouveaux établissements ». Et le rituel se conclut par une invitation faite au postulant de construire le Temple avec des « matériaux mystiques ».

Le rituel du grade comprend deux épisodes : dans la « salle d'Orient », Cyrus rend « la liberté aux captifs » à la demande de Zorobabel. Dans la « salle d'Occident », ledit Zorobabel est reconnu comme apte à diriger les travaux de reconstruction du Temple. Tout ceci reste très biblique. Pour nous maçons, nous pouvons donc en déduire que Zorobabel succède donc quelque peu à notre maître Hiram.

Nous pouvons faire le constat à ce grade que nous arrivons au troisième mythe depuis notre entrée dans l’ordre :

1.      Nous avons vécu le mythe de la construction du temple de Salomon avec les grades d’apprenti et de compagnon ;

2.      Ensuite, le mythe d’Hiram avec le grade de maître et celui du Ier Ordre ;

3.      Enfin, le mythe chevaleresque avec les IIIème et IVème Ordres.

Ainsi, le IIIème Ordre fait référence à la fois au mythe de construction du temple qu’à celui de la chevalerie, véritable charnière entre les deux.

 


CHEVALERIE TEMPLIERE ?

 

Lorsque nous évoquons la chevalerie dans le cadre franc-maçonnique, nous songeons immédiatement aux chevaliers de l’Ordre du Temple, les templiers.

Sans entrer dans la polémique sur les origines historiques de notre Ordre, nous devons cependant accepter le fait qu’ en Ecosse, il fut trouvé des manuscrits maçonniques bien antérieurs à la constitution de la Grande Loge, de la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717. La plus ancienne loge maçonnique connue dont on puisse clairement établir qu'elle était structurellement distincte de la corporation locale de maçons opératifs fut celle de Mary's Chapel, fondée en 1599, sous l'autorité de William de Saint Clair, à Édimbourg en Écosse. Et l’Ecosse est reliée sans conteste avec l’histoire des templiers : la légende attribue à cette terre d’avoir été le lieu de refuge de plusieurs templiers suite à l’arrestation des membres de l’Ordre en France. Des édifices comme Rosslyn Chapel évoque ces échanges entre Chrétiens, francs-maçons et templiers.

Comme je l’ai souligné en un morceau d’architecture, nul, aujourd’hui ou au XIIIème siècle, ne peut revendiquer une quelconque filiation historique et légitime avec l’Ordre du Temple. Elle se limite à une « filiation spirituelle ». [4]

Nul ne contestera que la tradition templière est omniprésente au sein du Rite Ecossais Rectifié et particulièrement en son Ordre Intérieur des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte[5], vocable qui, pour tous, signifie chevalier du Temple. [6]

Le Rite de la Stricte Observance (templière), dont nous connaissons aujourd’hui un certain retour, fait référence directe à la tradition templière.

Le Rite Ecossais Ancien et Accepté, en son grade de Chevalier Kadosh (30ème), ne soulève aucune objection sur la référence à l’Ordre du Temple bien que fortement orienté sur une vengeance[7] et non sur la tradition chevaleresque. [8]

Ces trois rites poussent à accepter le fait que quand on évoque un caractère chevaleresque à la franc-maçonnerie, on sous-entend la chevalerie templière et nulle autre.

Notons à ce sujet que d’autres rites non pratiqués en nos régions sont tout aussi explicites : ainsi le Rite Suédois ou, aux USA, le Rite d’York. Le Rite d’York né en Ecosse et ensuite exporté par les maçons irlandais aux USA se termine par le grade de chevalier templier. Il est à noter, que selon son rituel, le franc-maçon passe du Temple de Salomon (de l'Ancien Testament) qu'il rebâtit en recevant la gnose en vue d'un temple à la portée plus chrétienne que poursuivent les commanderies. Ceci rencontre notre IIIème Ordre de Sagesse.

Revenons à notre rite et au IIIème Ordre de Sagesse.

En lisant le discours historique – et pour le peu qu’on sache lire entre les lignes – la référence à l’Ordre du temple est évidente [9] bien qu’en nul Ordre de Sagesse, elle ne soit clairement indiquée. Déjà, le nom même du grade, Chevalier d’Orient, évoque le chevalier templier.

Que nous soyons du Rite Écossais Rectifié, du Rite Écossais Ancien et Accepté ou encore du Rite Français, notre initiation maçonnique reste identique et comporte les mêmes jalons. Ceux-ci sont sans doute moins dissimulés au sein du RER qui dès le départ renseigne le profane sur l’objectif maçonnique.



LA LIBERTE

 

L

a liberté reste un des thèmes fondamentaux du IIIème Ordre illustrée ici par un épisode très biblique de la libération des captifs. LDP, trois initiales pour, selon le rituel, liberté de passer (ou de passage) qui se situe avec le passage du fameux pont par les captifs libérés.

La liberté suit la captivité et le mot de passe du grade soit Yaavorou hammaim, qui signifie : ils passeront les eaux, n’est pas sans évoquer un autre épisode biblique, celui de Moïse qui délivre le peuple juif du joug égyptien.

La liberté est invoquée dès le début du rituel [10] et avec un signe de relever la pointe de l’épée dans un geste rapide[11]. Et, en effet, cette liberté ne s’acquiert que par un combat avec l’épée et ne s’acquiert qu’après un combat où nous perdons des trésors, soit la liberté exige concessions et sacrifices.

Et de nouveau, l’accent est mis sur le GADLU qui ordonne cette remise en liberté, cette délivrance, au travers du songe de Cyrus.

Sous-jacent, le rituel nous enseigne de quelle liberté il s’agit pour nous francs-maçons : la liberté de travailler, certains préciseront la liberté de penser. Il s’agit de la liberté de travailler à l’édification – la reconstruction – du second temple. C’est donc une liberté bien définie.

Dans une réponse de Zorobabel, il assignera comme autre vertu de l’Ordre l’égalité [12] et finalement une autre réplique du 1er Surveillant, la fraternité [13].

Liberté, Egalité, Fraternité … sont en effet les principes essentiels de notre Ordre et constituent nos lignes de conduite pour le travail maçonnique.

Il reste assez étonnant que, quasi au terme de notre parcours, nous revendiquions une liberté de travailler alors que depuis notre réception d’apprenti, ce travail fait partie de notre vie maçonnique. Mais, selon le rituel, nous étions captifs soit privé de travail ou privé du travail selon ce que nous le concevions ? Le travail de l’apprenti ou du compagnon s’effectue sous la direction et l’instruction du maître et celui du maître sous celles de l’architecte, devons-nous nous en libérer ? Autant de questions …

Si on considère que dans les degrés symboliques, nous travaillions à la construction du temple de Salomon, ce temple fut détruit et nous nous devons de le reconstruire. Si on considère que le temple, c’est symboliquement le maçon lui-même en sa phase initiatique, nous connaissons donc aussi cette destruction, cet anéantissement et nous nous devons de nous reconstruire. En écrivant ces lignes, le poème de notre TCF Rudyard KIPLING résonne en ma tête : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir » …

Si devenir franc-maçon reste une  chose relativement facile, devenir un initié en est une autre bien plus difficile qui nécessitera multiples combats contre nous-mêmes pour nous libérer de notre captivité du monde profane, engendrera renoncements ou pertes de nos avantages profanes. C’est un combat de tous les jours.

Pour la première fois, l’expression de « maçon libre » est évoquée en nos rituels. Nous restons cependant assez éloignés de ce que le TCF Léon CAMPION nomme la vocation libertaire de la maçonnerie. [14]

Il ne s’agit nullement d’anarchisme car notre liberté à ce grade reste parfaitement cadrée et centrée sur le travail de reconstruction du Temple et sur nos devoirs. La liberté aussi a ses règles.

Ceci me fait penser à une expression souvent répétées en nos loges, celle d’un maçon libre dans une loge libre qui ne signifie point comme certains voudraient le faire croire que tout est désormais permis et qu’on peut faire n’importe quoi. La liberté n’exclut point le respect des devoirs et obligations. « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent. » [15]

La liberté accorde cependant une prérogative importante. Contrairement à la captivité qui comporte multiples contraintes et impositions, la liberté offre la possibilité, le droit, du choix personnel. Ce choix relevant de notre libre-arbitre et de notre conscience. [16]

La liberté a un prix qu’il faut assumer !

« Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. » [17]

Je me souviens à ce sujet, alors que j’étais visiteur de prison, d’un prisonnier qui comptait les jours pour sa libération mettant celle-ci sur un nuage doré. Arrivé enfin à l’échéance, il fut libéré et heureux de l’être. Trois jours après, je fus étonné de le revoir sous les barreaux. Paradoxalement, j’appris que le surlendemain de sa libération, il avait démoli la vitrine d’un bijoutier, volé quelques bijoux puis s’était assis devant sur le trottoir pour attendre la police.

Il me déclara que finalement, en prison, il avait la sécurité, qu’on lui donnait à manger et un lieu pour dormir.

Et nous, maçons, ne sommes-nous pas parfois comme cet homme, préférant notre captivité rassurante à une liberté initiatique qui nécessite effort, travail et renoncement ? Empreints de liberté, sommes-nous prêt à l’assumer ?

 


L’ EPEE ET LA TRUELLE

 

A

u IIIème ordre, comme chevalier mais aussi maçon libre, nous travaillons avec l’épée et la truelle, signifiant que nous sommes à la fois défenseurs et constructeurs du temple.

L’épée reste bien entendu le symbole premier de la chevalerie que nous avons découvert dès notre entrée en loge symbolique. Associée au maillet, elle est en effet portée par le Vénérable[18] et toutes nos consécrations de grades furent effectuées par l’épée [19]. Rappelons qu’aux origines de notre Ordre, tout maçon portait l’épée.

A ce sujet, nous remarquerons qu’en notre Rite Français, l’épée de loge ou épée du Vénérable est droite et non flamboyante comme en d’autres rites. [20] Ceci est également le cas au Rite Ecossais Rectifié. La symbolique devient donc différente selon l’un ou l’autre rite.

L’épée flamboyante, c’est l’épée des Keroubim [21] [22] ; elle relève donc d’un pouvoir ou d’une puissance émanant de Dieu : la consécration du récipiendaire se fait donc dans une dimension verticale où le Vénérable est, en quelque sorte, la main du GADLU. Il ne s’agit donc ici nullement de ce que nous nommons un adoubement.

A contrario, l’épée droite relève de la chevalerie, soit de l’humain et non du divin, de la reconnaissance par les pairs dont le Vénérable est le représentant. La dimension de la consécration reste sur un plan horizontal tel que le définit l’adoubement.

Le Rite Français tout comme le Rite Ecossais Rectifié accentuent le fait qu’on est créé maçon (quelque soit le grade) par la reconnaissance de ses pairs, ce qui reste bien sur le plan humain de l’horizontalité.

L’épée au sens noble et initiatique du terme symbolise la Conscience et la Connaissance spirituelle, métaphysique ou philosophique… L’épée renvoie au travail sur soi, au dépassement de soi et au Connais-toi toi-même attribué à Socrate… Aussi, dans le cadre de notre grade, elle nous indique que c’est souvent contre nous-même que nous aurons à nous défendre.

L’épée évoque ainsi une pensée discriminatoire et spéculative fondée sur l’acuité intellectuelle et analytique. L’épée symbolise la faculté de discernement et la clarté d’une l’intelligence aiguisée. Sur le plan spirituel, il s’agit des facultés acquises pour obtenir une conscience claire et intuitive. Elle symbolise également le Verbe.

La truelle nous fut révélée au grade précédent comme instrument de notre purification soit finalement de notre reconstruction individuelle. Elle devient à ce grade un outil de (re)construction collective.

Un ancien rituel disait : « La truelle est l’outil par lequel l’œuvre du constructeur s’achève et devient parfaite ». Elle était, de ce fait, liée au pilier de la beauté. Signalons aussi qu’une ancienne instruction compagnonnique faisait de la truelle le symbole de la tolérance.

Le rituel de Maître Ecossais de Saint André [23] stipule ceci :

« Je vous arme aussi de cette épée, dont vous vous servirez pour votre défense et pour celle de vos Frères , tandis que vous vous servirez, de l'autre main, de la truelle que je vous confie  pour le travail auquel vous vous êtes engagé ; mais prenez garde de ne jamais abuser de l'une ni de l'autre et de vous souiller par aucune chose qui serait injuste devant le Juge Suprême de toutes vos pensées et de toutes vos actions. »

Soulignons qu’en la sapience d’Hermès, l’épée dite des philosophes est d’une part le creuset (voie sèche) et d’autre part, l’agent salin (voie humide). Elle sert à séparer les éléments pour les purifier (truelle) et par après les rassembler, les réunir. Solve et coagula

« L’épée qui blesse et la spatule (truelle) chargée d’appliquer le baume guérisseur, ne sont en vérité qu’un seul et même agent doué du double pouvoir de tuer et de ressusciter, de mortifier et de régénérer, de détruire et d’organiser. » [24]

Epée et truelle font du maçon un défenseur et un bâtisseur, ce qui n’est point sans évoquer les caractères de l’Ordre du Temple : défenseur contre lui-même et ses vices cachés, bâtisseur de lui-même.

Comme en tout rituel de réception, ici aussi, tous les acteurs de l’allégorie sont finalement en nous.

 


REBATIR LE TEMPLE

 

R

ebâtir un temple à la gloire du Grand Architecte implique le premier temple fut détruit et nous trouvons en le rituel et les tableaux multiples traces de cette destruction. Si on part du postulat que la construction du temple reste l’œuvre maçonnique, on en déduira que la franc-maçonnerie fut détruite. Nous y trouvons d’ailleurs le désordre en ses symboles.

On peut donc s’interroger sur ce qui détruit – outre le cadre mytho-historique – notre temple, notre tradition maçonnique.

L’instruction nous donne deux précieuses pistes :

La première :

·         Dans quel état avez-vous trouvé les Maçons en arrivant sur les débris du Temple ?

·         Dans le deuil et l'abattement, état de toute Loge livrée à la confusion et au désordre.

·         Que signifient les colonnes renversées, les instruments et les meubles déplacés ?

·         Que toute Loge composée de Frères indiscrets et vicieux, perd l'harmonie qui en fait le principal ornement, et ne peut tarder de se détruire.

La seconde :

·         Que la Maçonnerie doit être une, et ne peut souffrir de changement sans altération.

La première nous interpelle sur le fait que notre Ordre reste une institution humaine composée de FF\ et SS\ de tous ordres et qualités dont, malheureusement parfois, des vicieux qui viennent en troubler l’harmonie. Cela nous rappelle que le Maître Hiram fut assassiné par trois francs-maçons, trois compagnons, trois FF\et non par des profanes. Bien plus que des menaces externes du monde profane, nous devons être attentifs aux dangers internes que représentent parfois nos FF\ et SS \ et nos institutions.

La seconde constitue une sérieuse mise en garde qui, malheureusement, se rencontre de plus en plus de nos jours. En effet, sous divers prétextes de modernisation, d’actualisation, de simplification voire d’idéologisation, nous constatons que nos structures – qu’elles soient à initiative obédientielle ou individuelle – modifient nos rituels. Souvent avec une grande ignorance, on supprime ainsi des symboles jugés obsolètes ou simplement estimés non-conformes à une pseudo-idéologie. Les exemples furent multiples de la suppression du Prologue de Jean et de son remplacement par un livre blanc à celle de la mention du GADLU.

Ceci altère voire détruit ce qu’est notre tradition maçonnique. Je connais ainsi une loge – certes d’une grande obédience belge – qui pour correspondre aux convictions idéologiques de ses membres s’engagea dans une politique de simplification et de « laïcisation ». Aujourd’hui, en cette loge, plus de tablier ni gants blancs, plus de tableau de loge, plus de chandelier, plus de décors : juste le Delta, le soleil et la lune. Quant aux rituels d’ouverture ou de fermeture des travaux, ils sont réduits aux seuls croisement ou décroisement de l’équerre et du compas. Bien entendu, il y a longtemps que les planches socio-philanthropo-politiques ont remplacés l’étude des symboles. Si je n’ai point à juger et si je reconnais ses membres comme mes FF\, je ne peux m’empêcher cependant de m’interroger sur son caractère encore maçonnique de leur loge.

Si l’on considère que le temple, c’est le maçon lui-même, on peut en déduire que notre premier temple fut détruit, que nous fûmes captifs et qu’il nous appartient de reconstruire notre temple. Ce qui nous est clairement indiqué en notre rituel [25]

Ceci rejoint pour moi le concept de réintégration spirituelle développé par MARTINEZ DE PASQUALLY [26] au sein de L’ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l’Univers.

Résumons très – et vraiment très – brièvement. Créé à l’image de son créateur, l’Homme jouissait de vivre dans le royaume divin, royaume qui n’est pas de ce monde. Comme d’autres entités spirituelles (angéliques ou archangélique), il a renouvelé la faute des Anges et préféré le Moi momentané, périssable, illusoire au Soi éternel, réel, impérissable. C’est donc lui qui s’est momentanément éloigné de Dieu. Il voulut s'égaler à Dieu et émaner à son tour des créatures qui dépendraient de lui. Mais par le fait qu'il préférait le moi momentané, parce qu'il succombait à l'illusion, il s’exclut lui-même du Plan Divin.  C'est ce que nous rapportent ces deux légendes identiques pour MARTINES DE PASQUALLY, celle de LUCIFER, premier des Anges, le porteur de Lumière et celle d'ADAM, premier des Hommes au travers du vocable »la chute ». La grande affaire de l'homme va donc être de retrouver ce royaume perdu, ce royaume qui n'est pas de ce monde comme disent les Evangiles. C’est la Réintégration spirituelle.

Telle était la philosophie ou plutôt la théosophie de l’auteur du Traité de la Réintégration qui fondait sa foi en la perfectibilité du genre humain et espérait la reconstruction du temple de Zorobabel, du temple de l’Homme.

L’importance de la reconstruction du Temple par Zorobabel est capitale dans la maçonnerie des Elus-Cohen en ses ateliers supérieurs. [27]

Si nous concevons la similitude entre le temple de Salomon et celui de Zorobabel, tous deux se définissant comme demeures de l’Eternel, selon les textes bibliques, le premier sanctuaire fut construit par les Israélites pour abriter l'Arche d'Alliance.

Le temple de Zorobabel ne contenait, lui, pas cette arche d’alliance, plus détenue alors par les Israélites.

Nous savons que ce symbole de l’union pactisée entre Jehovah et son peuple fut un élément clef de la quête templière. [28]

Dépourvu de cette alliance que nous pouvons qualifier d’ancienne, notre désir visera en en établir une nouvelle, à la remplacer.


PETITE REMARQUE

 

Le discours historique nous enseigne que les Grands Elus se mirent en recherche de la voute sacrée, celle qui nous fut dévoilée dans le grade précédent. Ils détruisirent, par prudence, le piédestal de la science ainsi que la lame sacrée, le bijou d’Hiram. [29] La transmission de la tradition perd ainsi son symbole matériel et ne consistera plus qu’à une transmission orale.

 



CONCLUSION

 

Arrivé au degré du IIIème Ordre, le franc-maçon se doit d’établir le constat suivant :

1.      Le temple de Salomon qu’il avait construit est détruit ;

2.      Il est invité à le reconstruire mais ne bénéficie plus de l’alliance passée ;

3.      Il ne dispose plus de l’architecte pour diriger les travaux, celui-ci ayant été assassiné.

Mais il doit se souvenir de l’équation mise en exergue par la maîtrise française [30] [31] : si le GADLU est bien JEHOVAH [32] , si JEHOVAH est bien HIRAM [33] et si HIRAM est tout nouveau maître, alors …

Ce qui fera l’objet du prochain Ordre de Sagesse qu’il abordera avec espérance (couleur verte).



[1] Pierre MOLLIER , la chevalerie maçonnique

[2] Roger DACHEZ, Histoire de la franc-maçonnerie française

[3] Selon Daniel LIGOU

[4] Alain DRUART, l’héritage templier de la franc-maçonnerie

[5] Convent de  Wilhelmsbad, 1782

[6] Alain BERNHEIM, « Eques a Quæstione studiosa : Notes à propos du Rite Écossais Rectifié »

[7] Inexistante au RER

[8] Jean-Marie MERCIER, « De l'apparition d'un proto-kadosh à la fixation d'un grade à connotation templière, ou la malédiction d'un Nec plus ultra ayant suscité fascination et détestation »

[9] Au temps des croisades, les Chevaliers d'Orient ne demeurèrent pas oisifs: ils laissèrent un petit nombre d'entre eux occupé aux fonctions hospitalières, prirent les armes, et, sous un chef depuis érigé en Grand Maître de leur Ordre, ils se joignirent aux croisés. On les vit alors s'accroître progressivement et s'agrandir, jusqu'au moment où, parvenus au comble des richesses et des grandeurs, ils furent eux-mêmes dépouillés. Plus tard, la défaite des croisés leur ayant fait perdre tout espoir de rétablir le Temple, ils résolurent d'abandonner leur patrie désolée, et d'aller former au loin de nouveaux établissements.

[10] « Que la captivité finisse »

[11] Il baisse la pointe de son glaive, et la relève avec vitesse, pour signifier liberté.

[12] « Un des principes de notre Ordre est l'égalité »

[13] « Voici Zorobabel qui désire être admis au sein de la fraternité »

[14] Léon CAMPION, Le Drapeau noir, l'Équerre et le Compas

[15] MONTESQUIEU

[16] L’importance du libre-arbitre et de la conscience seront évoqués lors d’un Ordre de Sagesse.

[17] Victor HUGO

[18] Mais aussi par le couvreur et surtout l’expert

[19] Hormis le Ier Ordre

[20] REAA, Rite Opératif de Salomon, Rite de Memphis-Misraïm, …

[21] Ordre angélique des Chérubins. Il est à noter qu’à l’origine biblique, nous étions loin de l’apparence de petits bambins gracieux qui fut donnée par Michel-Ange et le catholicisme.

[22] Genèse 3.24 : « Après avoir chassé Adam, il posta à l’est du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante pour garder le chemin de l’arbre de vie.

[23] RER – 4ème degré

[24] FULCANELLI, le mystère des cathédrales

[25] Où les construisez-vous ? Faute de terrain, nous les construisons dans le cœur.

[26] MARTINEZ de PASQUALLY, Traité de la réintégration des êtres

[27] René GUENON voyait en la philosophie Cohen, la survivance exacte de l’ésotérisme chrétien et le véritable message caché de la franc-maçonnerie.

[28] Voir mon balustre « réflexion sur le IIème Ordre »

[29] Ces zélés Maçons cherchèrent parmi les décombres l'entrée de la voûte sacrée, laquelle n'avait pu être découverte lors de la destruction du Temple. En ayant découvert l'entrée, ils parvinrent au piédestal de la science, et retrouvèrent la lame d'or sous la pierre cubique. Résolus de la soustraire au danger qu'elle avait couru, ils brisèrent la lame triangulaire, la fondirent, mirent en pièces la pierre d'agate, et transmirent leurs mystères par la seule tradition.

[30] Voir à ce sujet : Jean VAN WIN, Mais qui est donc le GADLU ?

[31] Ceci est clairement exprimé dans le rituel du 3ème grade

[32] Confirmé également au IIème Ordre

[33] Confirmé par le tableau de Maître

13 mayo 2021

Le Conte d’Anderson


C

ette réflexion n’est pas un essai historique, malgré le thème qui se situe au cœur d’une époque considérée comme telle pour notre Institution.

Elle a pour projet de mettre en lumière la permanence et la modernité de nos principes fondateurs et de laisser deviner le sens de notre engagement, indépendamment de toute historicité.

Et deux voix pour marquer les deux temps d’hier et d’aujourd’hui…

ONCE UPON A TIME …

Ainsi pourrait commencer cette planche, comme tous les contes. Elle pourrait se continuer ainsi, en se projetant quelques instants, dans le passé, voici plus de deux siècles … 

Assis au fond d’une taverne faiblement éclairée par la lueur d’une bougie, quelques hommes austères et de noir vêtus s’affairaient à la rédaction d’un texte dont aucun ne mesurait alors la portée.

Plusieurs feuillets déjà rédigés s’étalaient sur la table… 

Il faut dire qu’ils avaient pris le temps pour parvenir jusqu’à cette rédaction : dix ans après que 4 Loges se réunirent un mois de Juin de l’an 1717 ou peut-être même 1716 : qui sait ? Même certains annonceront plus tard l’inexistence historique de cette date. Mais…

Le jour de la Saint Jean Baptiste le 24, Tiens comme c’est bizarre, une assemblée et une fête des Maçons francs et acceptés se tint cette année là, à la taverne l’Oie et le Gril. Aucun des participants n’était alors du métier.

La réunion rassemblât une vingtaine de personnes tout au plus et les contours de l’évènement sont aujourd’hui encore imprécis, voire incertains… Peut-être même que les auteurs, faute d’éléments, en arrangèrent ultérieurement le scénario…

Fut-il le premier document « arrangé » de la maçonnerie ? Plaçant cette dernière dans un longue perspective d’usage de faux…

Sous la plume experte du Pasteur James Anderson, s’établissaient les bases de la régularité et des origines de la Franc-Maçonnerie, dont on peut sans trop se tromper, annoncer qu’elles constitueront le pêché originel de notre institution…

Hélas, de nos jours encore, les maçons ne se sont pas exonérés de l’angoisse d’une existence historique.

Celle-ci a généré quelques interprétations, sinon des transformations notables légitimant pourtant une institution notablement  réputée.

C’est ainsi que nous pouvons évoquer le caractère sûrement enjolivé « d’une morale voilée par des allégories et illustrée par des symboles. »

Cependant, ces hommes surent rassembler dans ces textes, les valeurs qui parleraient encore à leurs frères, trois siècles plus tard.

C’est au survol de ces écrits que je vous invite à présent.

Cette première version, résonnait encore du bruit des tailleurs de pierres, alors que la FM dite des modernes était déjà exclusivement «spéculative» dans le projet de la Grande Loge de Londres.

Elle fut écrite par des hommes qui n’avaient jamais taillé une pierre. Sans doute s’inspirèrent-ils de textes opératifs et de codes de la corporation dont l’Angleterre regorgeait et dont ils s’empressèrent d’en détruire certains.

On peut annoncer sans trop se tromper que les hommes du métier avaient depuis de nombreuses années, déserté ces loges anglaises qui se lançaient dans cette aventure à ce moment. Comme c’est bizarre !

Aucun témoignage direct entre 1717 et 1723 n’existe… Alors, quelle nécessité poussait ces hommes rassemblés quelques années, après 1717…

Peut-être relancer une machine assoupie, et dans le chaos, sans doute se forger une légitimité aux couleurs ancestrales !

Nos fondateurs ont fabriqué un passé approprié à un but allégorique, bien avant le développement du symbolisme « transcendantal »…

Au point que nombreux nous sommes à croire que l’histoire de la Franc-Maçonnerie dite spéculative a commencé ce jour là…

Sur cet évènement, beaucoup ont construit de pénibles légendes et de mauvais romans suivant l’expression de Roger Dachez.

Et pourtant, de cette histoire « abracadabrantesque », émergera une institution philanthropique et philosophique de renommée…

Les francs maçons d’aujourd’hui, par des voies improbables et encore en partie hypothétiques, prétendent se rattacher, ne serait-ce que par le biais d’une métaphore vivante, à ces ouvriers d’autrefois.

Mais au fond que leur devons-nous vraiment ? »

Au temps des chantiers médiévaux, « On avait montré des « choses » à l’apprenti, le compagnon les enseignait à son tour, le maître de l’oeuvre en préservait la transmission au fil du temps, d’un chantier à l’autre.

Du maître d’œuvre au dernier des manœuvres, il y avait une pyramide de conditions, mais un destin commun.

Aucun d’entre eux n’avait le monopole d’une certaine vision du monde : pour presque tous, la vie était rude, souvent cruelle et violente, mais au fond, elle était simple car l’ordre du monde était impitoyable et limpide.

Il y avait des chantiers qui pouvaient occuper toute la vie d’un maçon, pour qui le métier se résumerait à l’édification d’une cathédrale » sans assurance de la voir achevée…

Aurions-nous conservé cette façon d’envisager notre travail ?...

Pour rédiger les Constitutions, Anderson s’est largement inspiré de textes puisés dans le catalogue des Old Charges.

Ce travail n’a pas été une entreprise solitaire puisque plus d’une dizaine de commissaires avaient été missionnés par le Grand Maître De Montagu « pour examiner, corriger, classer selon une nouvelle méthode, l’histoire, les obligations et les règlements de l’ancienne Fraternité ».

Anderson n’en reste pas moins le rédacteur essentiel le plus connu avec JT Désaguliers.

Signalons, pour la petite histoire, que l’infortuné Pasteur Anderson subsistait en partie, en écrivant (souvent en enjolivant : déjà…) l’histoire des familles de notables…

Mais Anderson écossais d’origine était natif d’Aberdeen dont le père avait appartenu à la loge de cette ville… Ecosse avez-vous dit ? Tiens comme c’est bizarre...

En effet, l’essentiel de ce qui constitue les fondements de la Franc-Maçonnerie non issue du métier est né en Ecosse au début du XVII siècle. William Shaw peut-être tenu pour son véritable fondateur ; mais que cela reste entre nous.

Parenthèse concernant la maçonnerie Ecossaise qui semble avoir permis la cohabitation des opératifs et des acceptés à contrario de l’Anglaise. Mais attention ceux qui se croient Ecossais aujourd’hui, n’ont certainement aucune filiation directe avec ceux là : le légendaire encore.

Alors quelle était la nature exacte et la fonction de cette étrange maçonnerie Anglaise ?

Partageons la tâche en quatre parties avait soufflé JT Désaguliers qui pestait d’avoir opté pour ce lieu insolite s’il en fut pour l’histoire.

Mais la saga ayant débuté dans une auberge, il était légitime qu’elle s’écrivit pareillement pour la continuité. Et pourrait-on ajouter qu’elle perdura d’une certaines manière aux sonorités des estaminets...

Il regrettait cependant les fauteuils confortables de l’académie royale et ses expériences en cours sur la physique et l’alchimie qu’il partageait avec Newton.

Il y avait dans les rangs de cette jeune maçonnerie un nombre élevé de membres de la Royal Society : allez savoir pourquoi …

La partie historique, les obligations, les règlements et enfin les chants.

Ainsi décidèrent-ils de l’agencement des Constitutions. Ce qu’avait exécuté Anderson… 

Concernant le premier chapitre, nous pouvons convenir aujourd’hui que l’histoire est dite, avec sa part d’anachronisme: s’imposant à nous en tant que patrimoine et au mieux comme « geste mythique ». 

La partie concernant les chants, sera l’absente de cette réflexion, à moins qu’une chorale improvisée par notre TVM, dont la tessiture de son organe n’est plus à louer, décide d’entonner le chant du Maître ou avec la modestie que nous lui connaissons, celui de l’Apprenti.

Tout montre à l’évidence que dans son expression, la Franc-Maçonnerie est progressivement devenue, une des formes de la tradition occidentale.

Elle a incorporé au cours des siècles et garde en son sein un ensemble de pratiques rituelles puisées au plus profond de l’humanité et relayés par de multiples voies : alchimiques, hermétiques, kabalistes.

Usages permettant d’annoncer qu’elle est une société qui transmet sous une forme codifiée des apaisements, des régulations...

C’est ainsi, que la Franc-Maçonnerie est une société initiatique. Ce mot était remarquablement absent de leurs préoccupations et maltraité aujourd’hui encore par les maçons Anglais, sans parler du sort que nous lui réservons souvent.                     

Quelle référence à la Tradition pouvons-nous revendiquer, sinon que depuis la nuit des temps, nous retrouvons les indices d’une « manifestation » à caractère social et immanent ou transcendantal, démontrant l’impérieuse nécessité pour l’homme de construire des réponses qui lui appartiennent par rapport à son environnement, à l’altérité, ou à sa propre condition.

Avec quel regard pouvons-nous appréhender l’initiation, une fois les figures légendaires, mythologiques, ou les exégèses bibliques acceptées comme les écritures d’une même histoire ?

Quelle définition donnerons-nous à l’initiation, étant entendu que nulle ne fera loi? A moins de considérer ses conséquences comme une révélation ?

Nous pouvons cependant convenir que l’Initiation procure à ses adeptes la capacité à comprendre de façon apaisée la nature humaine, cette fameuse « connaissance de soi » et elle permet de se positionner sur la crête des domaines de la pensée.

Il s’agit alors autant de la vivre, que de la penser. Il s’agit également pour le marin, au jour de sa rencontre avec la mer de ne pas se noyer, en ayant oublié d’apprendre à nager…

La constante sous-jacente reste celle de la Loi Morale évolutive et latitudinaire pour beaucoup, par le biais de la lutte du bien contre le mal, ou de la lumière contre les ténèbres et enfin de l’organisation du groupe.

La caractéristique fondamentale de la société des Francs-Maçons n’est pas celle de l’initiation qui est insuffisante en soi, mais celle d’une transmission opérante s’appuyant concrètement sur l’Art des Bâtisseurs.

   

Cela faisait quelques semaines qu’ils se réunissaient le soir dans la même salle. La connaissance qu’ils avaient de la Franc maçonnerie des Highlands les avait décidés. Elle serait une base pour leur projet politique : son substrat était un beau socle pour investir.

L’aspect fraternel et solidaire, le projet positif et prospectif, sinon économique du bâtisseur, le caractère « affranchi » de ses membres, qui n’ était pas autant affirmé dans d’autres confréries. La nécessité pour ces derniers d’entretenir des relations avec les différentes composantes du pouvoir. Déjà !!...

Et puis reproduire les lois de la nature, n’était-ce pas se rapprocher de Dieu ?

Ils s’attachèrent à l’aménagement d’un modèle de relations sociales. Elles s’établiront dans un nouveau lieu de rencontre et d’échange affirma l’un d’eux : la Loge, inspirée du monde des bâtisseurs.

Lentement au fil des réunions, Ils définirent une Loi Morale à laquelle chacun devait obéir, nous dirions aujourd’hui, une éthique, encore que ce terme ne recouvre pas convenablement la croyance en Dieu.

Cette Loi Morale avait donc pour fondement la croyance en Dieu, ce qui était accepté de toute part à l’époque. L’athéisme étant alors quasiment inexistant, ce qui pose la question de l’expression célèbre de l’athée stupide, sauf à y voir comme certains un contresens de traduction.

Ces textes affirment la liberté de conscience par le biais du respect des croyances de chacun et non de l’absence de croyance.

L’affirmation avait probablement pour raison première d’écarter les querelles religieuses antérieures qui avaient ravagé l’Angleterre et donc de rassembler le maximum de personnes dans une « association de bon ton » Des exégètes contemporains parleraient de club.

Cet espace sera désigné sous le nom de Centre de l’Union affirma Désaguliers.

Ils introduisent également le ferment de la liberté de penser en reconnaissant à chacun ses propres opinions, excluant de façon catégorique, par exemple la discussion sur les sujets à caractère politique ou religieux et incorporant la préoccupation sociale au sein d’une confrérie d’origine professionnelle.

Au delà d’un théisme convenu, L’objet premier des textes d’Anderson s’adresse plutôt à l’homme social qu’à l’esthète de la « démarche mystique ». Vous avez dit bizarre! 

Ils définissent un projet d’organisation plutôt qu’une méthode, en effet les textes d’Anderson sont discrets sur les pratiques rituelles ou autres cérémonies bien qu’existantes, sinon à souligner l’installation du maître de loge : «  suivant certaines cérémonies significatives et d’anciens usages ».

D’une façon générale, les pratiques rituelles de cette époque étaient bien plus frugales, qu’elles ne le sont aujourd’hui. Soulignons que cette absence dans les constitutions d’Anderson laisse la place aux revendications des Anciens sur le caractère traditionnel de leur pratique.

Malgré de nombreux passages obsolètes et quelques absences, ces textes représentent l’ossature essentielle mais également l’actualité des constitutions et règlements de la plupart des obédiences actuelles.

Pour n’en citer que l’essentiel s’agissant : 

De la liberté de conscience, la seule nouveauté viendra bien plus tard avec l’apparition du principe de laïcité en tant qu’espace institutionnel, développement essentiellement hexagonal faut-il le rappeler ?

Du concept de tolérance et de pluralisme associé au caractère fraternel de l’institution, Centre de l’Union des différences et non recherche de l’identité  de pensée.

De la notion de solidarité, qui se concrétisera, en 1724, par la création d’un « fond de charité ».

Du respect des lois sociales ou aujourd’hui, le fondement républicain de l’institution, qui verra ultérieurement, en ce qui nous concerne, l’avènement des valeurs telles que le triptyque Liberté, Egalité, Fraternité qui ne sont historiquement qu’une devise républicaine alors qu’on se plait à en faire une acclamation chevillée à une pratique rituelle.

Du respect de l’obligation et de l’acceptation de la règle, que nous retrouvons dans la notion de devoir et d’engagement.

De la progression et de ses critères, dans le cadre d’un apprentissage « selon une manière qui est propre à la fraternité ». 

De la discrétion enfin, sans entamer la question complexe du secret, dont nous savons ce qu’il convient d’en penser.

Ainsi ils écrivirent, ce qui aujourd’hui nous fait encore rêver, débattre, rechercher, ce qui nous divise, hélas quelquefois.

Ce qui paraît le plus remarquable dans le texte d’Anderson ce n’est pas tant de mettre en place une « école » pour devenir meilleur, mais d’établir une règle suprême disant aux hommes si vous êtes Francs maçons, il convient de souscrire sinon à en être persuadé, en la liberté de conscience et d’opinion de chacun.

La modernité et sans doute la survivance de cette institution résident dans ces deux concepts.

Ils se séparèrent dans la fraîcheur du petit matin le travail accompli. Anderson devait se charger de la publication. Se doutait-il du retentissement de ce document ?

Il tomba pour le restant de sa vie dans l’anonymat sans autre fait marquant à son actif…

Ces textes font partie du patrimoine de notre institution, dont l’ambition a toujours été d’user du qualificatif Universel. Usage sans doute excessif aujourd’hui, puisque établi dans une époque où la maçonnerie pouvait se parer d’une unité institutionnelle, certes éphémère.

Les efforts restant à réaliser pour que les deux ou trois phrases clefs des textes d’Anderson soient réellement atteints, sont encore conséquents...

L’imperfection de la pierre taillée rugueuse là ou nous pensions l’avoir maintes fois préparée, une Etoile merveilleusement inaccessible, le Temple inachevé et même pire : ruiné.

Chaque moment fort de notre chemin est confronté à l’immense difficulté à devenir meilleur et plus éclairé suivant l’expression…

Peut-être, avancerions-nous différemment, sinon mieux, si nous nous interrogions sur la motivation profonde, elle universelle, qui pousse l’humanité depuis ses origines à se transcender…

Sans se tromper, il n’y a pas de mot fin à ce conte…


Jean Pierre Duhal

Membre de l’Alliance des Loges Symboliques