Très Sage et Parfait Maître et Très Respectables et Parfaits Sœurs et Frères Cette phrase de notre rituel qui nous enjoint à voyager et à nous engager dans le monde avec responsabilité m’interpelle dans toute sa force. Qu’est-il ce monde ? les définitions en sont nombreuses :
-Ensemble de tout ce qui existe sur terre, perçu par l'homme et le plus souvent en opposition avec lui, Ensemble constitué des êtres et des choses créés; pour certains cela peut-être l'univers, le cosmos, pour d’autres une autre définition nous rapprochera plus de notre ordre : « La communauté; la société des hommes vivant sur terre ». C’est l’Ensemble de tout ce qui existe, de façon réelle et concrète.
Le monde impose sa réalité et l’actualité aujourd’hui ne fait que le confirmer. Nous savons que le monde précède toute construction humaine et existe avant tout langage. Il était là avant nous, il est là, et il sera toujours là. Ainsi
Le Monde s’impose à nous alors que la réalité que nous en avions était de croire que le monde nous appartenait. Exister, c'est être au monde, La définition d’Autrui est encore plus complexe : c’est l’autre, le prochain ; c'est l'autre homme en tant que sujet moral conscient. Autrui désigne un individu, un autre humain, mais un individu indéterminé. La particularité d'autrui est qu'il désigne l'autre soi-même, l'alter ego : autrui, c'est un autre moi, qui est à la fois mon semblable, et pourtant différent de moi. Autrui est donc un autre, mais un autre n'est pas autrui. L'autre peut être un homme, un animal, Dieu, ou un objet matériel alors qu'autrui est toujours un être humain envisagé comme alter ego.
La question qui se pose alors est: comment se peut-il qu’existe un autre que moi que je découvre parmi les choses et qui pourtant, comme moi, est un ego (un sujet) ? Comment peut-il y avoir un ego qui ne soit pas mon ego, qui ne me ressemble pas. Sartre dit qu'autrui c'est « ce moi qui n'est pas moi ». ... Autrui c'est à la fois le même, une conscience comme moi ; mais c'est aussi l'autre, dont la conscience et l’intériorité sont différentes. C'est la raison pour laquelle on dit qu'autrui est un alter ego (alter = autre, ego = moi, donc un autre moi. Martine ALLOTE 4ème Ordre Souverain Chapitre Provence Méditerranée « Le Voile d’Isis »
La question est celle de l'identité et de la différence. L'ego cogitant ou sujet pensant de Descartes implique que c'est moi qui pense. Ainsi considérer qu’autrui me ressemble me permet de tenter de me transposer en imagination dans les vécus d'autrui. Il s'agit d'une expérience immédiate d'appariement dépendant de la spatialisation de mon imagination par laquelle je peux faire "comme si j'étais là-bas". Il s'agit en réalité d'une intersubjectivité qui implique que je ne suis humain que dans la mesure où je veux m'imposer à l'autre, à me faire reconnaitre par lui. C'est dans cet autre que se condense le sens de ma vie. Le Dasein de Heidegger expose que cet être-avec est une disposition constitutive de l'existence humaine.
L'homme est toujours hors de soi, la présence d'autrui précédant obligatoirement la solitude car je ne peux être seul que si autrui manque. Etre c'est donc tout d'abord écouter la voie de l'ami que chacun porte en soi L'autre est donc celui-là même qui me fonde en tant qu'être dans la mesure où l'affirmation de ma différence passe par la perception de la subjectivité de mon interprétation. L'autre n'est donc qu'une théorie dont la dimension morale est absente. Levinas précise ainsi que le visage de l'autre est l'ouverture sur l'infini qui seule peut m'ouvrir à la dimension de sujet. « Autrui en tant qu’autrui, n’est pas seulement mon alter-ego. Il est ce que je ne suis pas » dit Levinas Au même titre que moi, l’autre est une conscience qui pense le monde et qui s’interprète lui-même. Comment pourrais-je avoir accès à une intériorité, à l’intériorité d’une conscience qui n’est pas la mienne. En effet, autrui n’est pas un objet mais un sujet, une identité qui ne m’est pas donnée de manière définitive mais qui se construit, qui évolue, tout comme moi. Grace à autrui j’ouvre la perspective d’un monde à entrées multiples. En effet autrui m’offre une vision sur le monde qui n’est pas la mienne, qui est la richesse de la rencontre Autrui est insaisissable. Comment deux libertés (la sienne et la mienne) peuventelles s’entendre et ne pas se heurter l’une et l’autre dans un affrontement perpétuel ?
Hobbes nous dit que « L’homme n’est pas naturellement sociable » il n’est devenu sociable que par accident. L’état de nature était défini par un état de guerre permanent de tous contre tous « l’homme est un loup pour l’homme » Kant parle de « l’insociable sociabilité de l’homme », l’homme est tiraillé par la nécessité de s’associer à d’autres hommes (donc de participer à une vie collective) et en même temps le désir de rechercher à satisfaire son intérêt personnel (donc vivre de façon individualiste) Martine ALLOTE 4ème Ordre Souverain Chapitre Provence Méditerranée « Le Voile d’Isis » 3 Autrui est donc une menace parce qu’un rival : il est insaisissable, il est une conscience dont l’accès m’est impossible. Mais si je ne peux connaitre autrui, je dois m’entendre avec lui par-delà cette inaccessibilité : si je ne peux connaitre autrui, je dois cependant le re-connaitre Claude Levi-Strauss nous explique
- Les dispositions psychologiques naturelles font que l’on a toujours du mal à admettre ce qui est différent de nous, ce qui nous est culturellement étranger car face à l’inconnu on reste sans repère, sans point d’appui possible pour y répondre. Le premier mouvement est le rejet de ce qui ne nous est pas familier. x Cependant, il n’y a qu’une seule espèce humaine. Les civilisations ne sont que des expressions particulières d’une seule et même espèce, une seule et même humanité. x Ne pas reconnaitre l’humanité chez l’homme qui me fait face en le qualifiant de « barbare » signifie me conduire comme ce que je lui reproche d’être : ne pas reconnaitre l’humanité en l’autre : ne pas reconnaitre l’humanité en moi-même. En l’excluant de la nature humaine, je m’en exclue moi-même, c’est moi le sauvage : « en refusant l’humanité en apparaissant comme les plus sauvages ou barbares de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord celui qui croit en sa barbarie ».
Le contenu se dévoile dès lors avec une netteté que l’acuité du regard de l’aigle permet seule. Tous nos rituels du 1er Grade au 4ème Ordre nous demandent de chercher la vérité avec les autres. Autrui est celui qui m’accompagne dans la vie d’où cette notion de voyage que nous retrouvons au 4ème Ordre et me permet de progresser de la caverne à l’anneau d’alliance en passant par le pont. La démarche est collective, point de salut sans l’Autre dans nos rituels de Sagesse. L’Arche du 4ème Ordre au sein de laquelle se trouve le Chevalier Rose-Croix nous enseigne symboliquement que les Hommes sont rassemblés sous une seule Parole dans la Foi, l’Espérance et la Charité., cette charité qui doit nous faire « découvrir avec bonheur l’Unité de l’Humanité » Et m’occuper d’autrui et donc de l’humanité revient aussi à m’occuper de moi car j’en suis membre. D’aucun pourrait penser que s’occuper de soi passe pour de l’égoïsme, il n’en est rien, car s’occuper de soi, c’est sortir de l’ombre, c’est « essayer de se rendre visible à soimême » c’est pour le Maçon partager avec autrui ce qu’il a reçu en partage. Autrui existe dans toute sa liberté et c’est cette liberté pure et totale qui en fait une existence irréductible à la mienne, cette existence qui m’échappe et me limite dans ma propre liberté si je ne fais rien pour lui. Le devoir à l’égard d’autrui ne limite pas ma liberté, mais il la fonde en ce que ma définition d’humain, et donc de maçon, exclue la solitude. « Êtes-vous Franc Maçon » interroge le rituel. Et la réponse « Mes Frères me reconnaissent pour tel » souligne l’obligation d’appartenir à la communauté des hommes pour exister moi-même.
Je ne saurais
exister seul, sans le témoignage de l’autre. Autrui me fait progresser lorsqu’il me
pousse dans mes derniers retranchements. C’est en effet uniquement lorsqu’on se
sent assez fort soi-même pour s’ouvrir sans réticence à autrui que peut vraiment
avoir lieu la rencontre de l’autre, source d’enrichissement qui donne à la vie de
l’individu une ampleur et une profondeur plus grandes. C’est pourquoi il est certes
bon de multiplier dans la vie sociale les lieux et les occasions de rencontre ; mais
il est plus important encore de savoir se préparer soi-même à la rencontre, à
l’accueil de l’autre. Vivre avec les autres peut certes être parfois un enfer, comme
le soulignait Sartre, si chacun se sent constamment épié et jugé par l’autre ; mais
il n’est pas davantage de paradis pensable dans la solitude et l’enfermement en
soi. Ni enfer ni paradis, la vie en commun n’est pas exempte de conflits, de crises
Martine ALLOTE 4ème Ordre Souverain Chapitre Provence Méditerranée
« Le Voile d’Isis »
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et même de drames, et la rencontre de l’autre est toujours le commencement d’une
aventure, qui, comme toutes les aventures, peut mal finir.
Toute rencontre, sans qu’on puisse le savoir d’avance, peut-être un mal ou au
contraire un bien. Mais c’est à travers l’échec, et non pas en le fuyant par avance,
qu’on peut s’affermir et devenir vraiment soi-même.
Tel le pélican se sacrifiant pour sauver ses petits je dois moi aussi m’extraire de
moi-même, de la personnalité ancienne enfermée dans mon ignorance et mon
égoïsme pour renaître à une vie meilleure. Je ne sais connaître ou plutôt
reconnaître, que ce que j’ai appris et qui constitue le fondement même de ce que
je suis et il me faut de la foi et de l’amour pour entendre qu’autrui en face de moi
est aussi un autre moi-même qui a ses propres pensées, ses propres aspirations.
Il est moi et il est Autre mais c’est un être humain en devenir comme moi-même.
Le devoir à l’égard d’autrui fonde ma liberté, il en est le garant, il m’inscrit dans
la communauté des humains dont notre fraternité est le prototype. Je dois
distinguer sans séparer, différencier sans opposer. Grâce à autrui le Monde existe,
nous sommes, moi et autrui, deux consciences qui se reconnaissent comme sujets.
Mais cette reconnaissance ne signifie pas la connaissance d’autrui en son essence.
Je le reconnais comme une conscience de soi au même titre que moi avec ses
désirs, ses projets…et dans un rapport au monde différent du mien. C’est pourquoi
autrui est l’incarnation d’une liberté dans le monde à laquelle je dois le respect.
Je dois à autrui ce qu’il se doit à lui-même : respect, amour et compréhension sans
jugement. N’oublions pas de nous en servir mes sœurs et mes frères au long de
notre vie et de nous élever contre tout ce qui porte atteinte à autrui.
C’est tout le travail du Parfait Chevalier, Chevalier Rose Croix : L’armure de la
foi, la ceinture de l’espérance et l’épée de la charité sont des outils au service de
l’humanité et du Monde.
« Le monde prend sens à partir d’autrui.
Si autrui existe pour vous, s’il est respecté dans la juste
mesure, le monde s’ouvre pour vous. »
J’ai dit TS & PM et vous tous Très Respectables et Parfaits Sœurs et Frère
Martine ALLOTE 4ème Ordre Souverain Chapitre Provence Méditerranée « Le Voile d’Isis »